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Les Charmettes, Lausanne. 4 mars 2012. André Joly, Michel Nseir, Hilary Waardenburg et Fadi Daou

« Vous avez tout compris ? Alors je me suis mal exprimé ! » C’est par cette boutade que le P. Fadi Daou, de Beyrouth, a ouvert la conférence sur les chrétiens après les printemps arabes, soulignant ainsi la difficulté d’interpréter ces événements. Dans une maison des Charmettes pleine à craquer, plus de cent personnes s’étaient déplacées ce dimanche après midi 4 mars 2012. Cette journée est un des fruits des contacts établis lors du voyage au Liban, organisé par la Communauté des Eglises chrétiennes dans le Canton de Vaud, en octobre dernier.Citant le penseur Samir Kassir – « le malheur des arabes est d’être incapables…d’être», Fadi Daou, prêtre maronite, très engagé dans les dialogues œcuménique et interreligieux au Liban, prend le contre-pied de cette affirmation : « enfin il est devenu une bonne chose d’être arabe » ! La situation actuelle est à comprendre sur fond d’une triple crise. Politique : les pays manquent d’un contrat social ; religieuse : la naissance des mouvements islamistes politiques et le retrait des chrétiens de la scène publique ; socio-culturelle : 60% de la population a moins de 25 ans et elle déchante.

Pour F. Daou, le printemps arabe est avant tout une protestation pour la dignité. Mais c’est aussi une quête du pouvoir par les islamistes et une revanche contre des régimes les oppressant. Quelle est alors la place des chrétiens dans ce contexte ? « Les Eglises sont plutôt conservatrices et s’alignent sur les pouvoirs en place. En Egypte, par exemple, au début de la révolution, le patriarche copte soutenait Moubarak. Mais elles ont aussi peur de l’arrivée des islamistes au pouvoir. La jeunesse chrétienne, en revanche, est enthousiaste par rapport au printemps ». Une autre caractéristique des chrétiens est leur très faible représentativité dans les affaires publiques. En revanche, en Syrie ils peuvent contribuer à mettre les diverses parties autour d’une même table. Leur vocation est de rappeler les deux valeurs universelles de dignité et de liberté.

Pour le pasteur André Joly, président de l’Action chrétienne en Orient, les chrétiens sont toujours à la recherche d’un équilibre. Il faut qu’ils sortent d’un cloisonnement et développent des relations autres que celles vécues avec les régimes en place. Ils ne sont pas les seuls à pâtir de la discrimination, il y a aussi beaucoup de musulmans qui souffrent. Que pouvons-nous alors faire depuis la Suisse ? A. Joly invite d’abord à la prudence : « il faut filtrer ce que nous entendons ; puis nous avons à choisir de manière responsable les programmes que nous soutenons, en se gardant de financer des projets trop communautaristes. Enfin nous pouvons être des relais d’interpellation et de prière ».

La valeur du dialogue

Michel Nseir, théologien orthodoxe du patriarcat d’Antioche et responsable au Conseil œcuménique des Eglises (COE) des relations avec les Eglises d’Orient, vient de passer une journée avec dix dirigeants des frères musulmans dans le cadre de la Communauté de Sant’Egidio à Rome. Ceux-ci reprochent à l’Occident, gardien des valeurs de démocratie, de dignité et de l’état de droit, d’avoir soutenu des états totalitaires, au détriment de millions d’êtres humains. Il faut chercher à comprendre ce qu’ils ressentent quand un dignitaire d’Eglise s’accommode des pouvoirs oppressants en place.

Comme Sant’Egidio, le COE cherche à dialoguer avec les musulmans. « Nous devons les écouter, leur montrer notre amitié et les accompagner. Les trois mots clés sont accompagnement, écoute et amitié », affirme M. Nseir. Les chrétiens sont devant cette alternative : soit ils participent au changement en devenant des acteurs. Soit ils se replient sur eux-mêmes, ce qui est malsain pour leur avenir.

Prière oecuménique pour le Proche Orient à la Cathédrale

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La chorale de l’Église orthodoxe copte

Tout ce monde est ensuite monté sur la colline de la cathédrale de Lausanne pour un temps de prière préparé par le groupe qui a vécu le voyage au Liban. La pasteure Maryse Burnat-Chauvy a présenté cette belle expérience œcuménique. Le P. Fadi Daou a apporté un message percutant sur la vocation des chrétiens du Proche Orient à être ouvriers de paix et de dialogue : « Ce dont les chrétiens d’Orient ont besoin, est d’être affermis dans leur mission d’artisans de paix et de serviteurs de la vérité dans leur société et auprès de leurs concitoyens.

Si vous voulez nous aider, aidez-nous à nous désarmer de toute tentation de pouvoir illusoire et de fausse sécurité ; aidez-nous par votre prière à rester fermes devant la violence qui s’abat sur nous et sur les autres autour de nous, aidez-nous à rester fidèles à notre mission d’être les prophètes réalistes de la vérité, c’est-à-dire d’être les artisans d’un dialogue qui doit rester possible malgré tout ».

Un thème approfondi également par Michel Nseir à partir d’une méditation sur la parabole du bon samaritain : « Dans une région qui connaît une grande diversité religieuse, ethnique et culturelle, où les identités communautaires sont tellement crispées, et où le repli sur soi est devenu une sorte de refuge, Jésus nous interpelle et nous demande à nouveau qui est ton prochain ? Qui est ton voisin ? Est-ce la personne ou la communauté avec laquelle tu te sens à l’aise ? Ou est-ce la personne, ou la communauté qui souffre et qui a besoin de ton amitié, de ton soutien, de ton écoute, de ton accompagnement, et de ton amour ? »

La célébration s’est conclue par une prière d’intercession prononcée par des personnes venant des différents pays du Proche-Orient. La communauté copte d’Egypte était représentée par sa chorale et son prêtre, le P. Louka Elbaramoussi.

Martin Hoegger

pdf Méditations de Fadi Daou et Michel Nseir

pdf Livret de la célébration œcuménique à la cathédrale de Lausanne

Vidéo de la célébration à la cathédrale de Lausanne
Quelle contribution des chrétiens au Proche-Orient ? Réflexion de Jean-Jacques Meylan.

 

 

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