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Mgr Charles Morerod entouré du past. Martin Hoegger et du P. Paulino Gonzalez.

Par Martin Hoegger.

Mgr Charles Morerod, nouvel évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg a une large expérience de dialogue œcuménique. Ses publications et sa participation à plusieurs commissions de dialogue témoignent de son intérêt pour la cause de l’unité chrétienne. Dans cet entretien avec Paulino Gonzalez et Martin Hoegger, responsables de l’œcuménisme dans les Eglises catholique et réformée du Canton de Vaud, il partage ses convictions, sa pratique et son espérance.

Depuis 50 ans, l’œcuménisme a fait de grands progrès pourtant un sentiment de grande déception s’exprime souvent parmi les ministres et les fidèles. Quelle est selon vous la cause de ce sentiment de déception ou d’insatisfaction?

Il n’y a peut-être pas une seule cause… Par rapport à la situation des années cinquante, on a fait des pas extraordinaires pour redécouvrir ce qu’il y a de commun entre nous et apprendre à nous apprécier. Ces changements sont intervenus assez rapidement, mais on avait malgré tout l’impression qu’on restait différents. D’ailleurs, ce n’est pas seulement une impression, c’est une réalité. A la fin des années ’80, un pasteur genevois a dit à un groupe de pasteurs et de prêtres de Genève: « Depuis le temps que nous discutons de nos points communs, nous commençons à nous demander pourquoi nous ne sommes pas vraiment unis. Il faudrait que nous commencions à parler de nos différences dans le but bien sûr de les dépasser ».

J’aime la comparaison avec l’image d’un couple qui se retrouverait des années après un divorce et qui se dirait : finalement pourquoi on s’est séparés ? Il ne suffit pas de se dire ça pour se retrouver, car il y a eu une longue période pendant laquelle les deux membres du couple se sont développés séparément. Ils vont peut-être ressasser les causes de la séparation. Pour pouvoir se retrouver, il faut un certain temps. Dans le cas de nos deux Eglises chacune a eu son développement propre. En partie avec l’autre à l’esprit, et en partie aussi pour manifester la distinction d’avec l’autre. Pour surmonter cela il faut du temps. Je crois que nous devons aussi nous convertir. D’abord, au niveau personnel !

Vous êtes né au sein d’un couple mixte, quelles sont vos expériences marquantes dans le domaine de l’œcuménisme ? Et en particulier avec les églises réformées.

L’expérience des couples mixtes est absolument cruciale parce que des gens qui s’aiment, se respectent dans leur foi, vivent tout le temps ensemble et désirent éduquer leurs enfants dans la foi ne peuvent pas ne pas être confrontés aux problèmes oecuméniques. Ils ont sans doute un rôle pour nous empêcher de nous résigner.

J’ai fait partie de la commission œcuménique de dialogue dans le canton de Fribourg avant d’aller à Rome. Là, j’ai eu une expérience du dialogue entre réformés et catholiques. Ensuite, j’ai participé à la commission de dialogue entre catholiques et anglicans et maintenant entre catholiques et orthodoxes. C’est un tout autre type de dialogue. Maintenant que je suis revenu en Suisse, je recommence à faire l’expérience de ce dialogue avec les réformés. Une expérience, d’ailleurs, variable puisque le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg comprend quatre cantons.

Vous avez donné une conférence à l’université de Fribourg sur la relation entre le dialogue œcuménique et le dialogue interreligieux. Quelles relations voyez-vous entre ces deux dialogues ?

Beaucoup ne voient pas la différence et appellent « œcuménique » n’importe quel dialogue en matière religieuse. Je le regrette. C’est le signe d’une ignorance religieuse parce que je tiens beaucoup à ce qu’on manifeste ce qu’il y a de commun entre des gens qui croient que Jésus-Christ est le Fils de Dieu fait homme et que Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit, pour prendre des éléments caractéristiques. Le dialogue n’est pas le même entre des chrétiens et avec des musulmans, ou des bouddhistes, etc… Le dialogue avec les juifs est dans une situation intermédiaire.

Le but du dialogue œcuménique, tel qu’il est compris par l’Eglise catholique, est la pleine unité des chrétiens. Le dialogue avec les membres des autres religions a un but différent : une plus grande connaissance mutuelle, reconnaître ce qu’il y a de bon chez les uns et les autres, puis promouvoir éventuellement des projets communs : aide humanitaire, recherche de la paix, prévention des conflits à base religieuse. Tout cela est très important. Certes on cherche aussi ces éléments dans le dialogue œcuménique, mais il y a beaucoup plus dans ce dialogue.

Vous avez parlé d’approfondir la connaissance de nos différences, non pour les augmenter, mais pour les surmonter. Quelles sont selon vous les principaux obstacles à surmonter pour parvenir à la pleine communion ?

Cela dépend des cas. Si on parle du dialogue entre réformés et catholiques, la question des ministères est sans doute la plus centrale. Elle implique toute une conception de l’Eglise. Nous devons demander au Saint Esprit de nous éclairer sur ce point. Il ne faut pas oublier les progrès énormes du mouvement œcuménique. Même s’il pourrait aller plus loin. Et puis il peut y avoir des surprises. Par exemple la chute du mur de Berlin : dans une Europe qu’on croyait à jamais divisée, quelque chose est arrivé.

Dans le cadre du dialogue entre catholiques et anglicans, j’avais discuté de cette question avec un évêque anglican anglais originaire du Pakistan. Il m’a dit que lors de la fondation des Eglises unies en Inde, il y a eu deux systèmes différents : l’un en Inde du Nord et l’autre en Inde du Sud. Dans l’Eglise unie de l’Inde du Nord, sept Eglises différentes – de type anglican, luthérien, réformé, etc. – ont fusionné. Elles se sont posé évidemment la question des ministères. On a procédé à une cérémonie de consécration d’un certains nombre de ministres. Ceux-ci ont été consacrés selon tous les rites de consécration des Eglises membres. Puis ces ministres ont célébré des ordinations dans leurs Eglises. Cet évêque m’a dit qu’à ce jour, c’est ce qu’il a vu de mieux. Je ne suis pas sûr que cela soit immédiatement réalisable dans l’Eglise catholique, mais à mon avis cela mérite réflexion !

Quelles sont les expériences marquantes que vous avez faites dans ces lieux de dialogue ?

Dans les dialogues auxquels j’ai participé, il y a moins de différences théologiques entre les catholiques et les orthodoxes qu’entre les catholiques et les Eglises d’Occident (protestantes et anglicane). Mais en fait, en discutant de questions difficiles avec des théologiens réformés, luthériens ou anglicans nous arrivons à nous comprendre, car nous avons une même culture de base. Et me semble-t-il, on y arrive. Alors qu’avec les orthodoxes on s’est quelque fois rendu compte à notre grand étonnement qu’on avait dit la même chose mais qu’en fait on avait une compréhension différente.

Je me souviens d’un moment frappant de la commission de dialogue entre catholiques et orthodoxes. A Ravenne, les orthodoxes avaient été invités à assister à la messe catholique. A la sortie de la cathédrale, les gens ont applaudi la délégation orthodoxe. Cela a fait un choc considérable à tout le monde, notamment aux orthodoxes. Ils ne s’y attendaient pas du tout. On a senti que tous ces italiens venus assister à cette messe désiraient vraiment l’unité. J’ai vu plusieurs évêques orthodoxes profondément remués devant cette Vox populi.

Qu’est-ce que cela vous a fait d’entendre cette vox populi ?

La même chose qu’aux orthodoxes… que la division n’a pas de sens. Un vétéran du dialogue m’a dit que cela lui a rappelé la foule à Bucarest criant : « Unitate », lors de la visite de Jean-Paul II.

Pour susciter cet œcuménisme du peuple de Dieu, une spiritualité œcuménique est-elle nécessaire ? Une spiritualité qui nous rassemble sur les fondamentaux de la foi ?

Absolument ! C’est la spiritualité chrétienne. Il n’y a pas besoin qu’elle soit spécifiquement œcuménique. Quelqu’un qui tient à sa foi se rend compte qu’il n’est pas acceptable que d’autres personnes qui croient au Christ ne lui soient pas unies en quelque sorte.

Dans une rencontre du Conseil œcuménique des Eglises à Athènes, j’ai fait une expérience de lectio divina. Dans mon groupe, il y avait un orthodoxe serbe, un pentecôtiste philippin, une luthérienne finlandaise, une baptiste nicaraguayenne, un méthodiste du Malawi et d’autres encore. Un groupe franchement diversifié. Faire silence ensemble, méditer le même texte biblique et partager nos découvertes sur ce texte, était une vraie expérience de spiritualité œcuménique. De plus j’ai vu des changements s’opérer chez des personnes durant cette semaine. Surtout celles qui avaient moins l’habitude de rencontrer des personnes d’autres Eglises, du style… « ah on peut donc prier ensemble spontanément et pas seulement avec des formules approuvées ».

En plus du dialogue entre les Eglises, il y a aussi la contribution des communautés et des mouvements comme celles de Taizé et Sant’Egidio et d’autres. Comment estimez-vous leur contribution à l’oecuménisme ?

D’une manière variable, il est vrai que ces communautés que vous avez mentionné donnent l’occasion aux chrétiens de se rassembler, de mieux se connaître ou de participer à de projets sociaux. Travailler ensemble pour la paix, comme dans le cas de la communauté de Sant’Egidio, c’est assez évident et j’en suis très content. Mais les mouvements d’une manière générale doivent veiller à ne pas suivre leur route propre d’une manière indépendante. Dans ces deux cas, ils en sont parfaitement conscients et ils s’en sortent très bien. Autrement il y a le risque d’avoir des enthousiasmes qui poussent en avant et qui finissent par constituer une autre Eglise. Ce n’est pas le risque de Taizé et de San Egidio. On pourrait en citer d’autres. Je vis ici avec une communauté de quatre sœurs dont la spiritualité est celle des Focolari et dont l’engagement m’impressionne.

Revenons maintenant en Suisse et dans votre diocèse. Ici dans votre diocèse quels sont les pas que vous aimeriez entreprendre pour approfondir les relations œcuméniques dans votre diocèse ?

Je suis nouveau ici. C’est ensemble, avec toutes les Eglises que nous devons voir les pas que nous voulons faire. Pour l’instant je découvre tout. Donc, attendons un peu !

Dans le canton de Vaud, des missions communes ont été développées entre les deux Eglises reconnues, l’Eglise évangélique réformée et l’Eglise catholique ? Comment percevez-vous cette expérience de mettre en commun les forces ministérielles ?

Des missions communes existent aussi dans le canton de Fribourg, mais cela n’a pas été systématisé comme dans le canton de Vaud. C’est un beau témoignage que nous pouvons rendre actuellement. Dans le domaine de la diaconie, c’est non seulement nécessaire, mais aussi un avantage pour tous. Parler d’une même voix par exemple dans l’accueil des migrants augmente la force de notre action.

Merci beaucoup de nous avoir accordé cette interview. Nous sommes heureux de découvrir votre large expérience œcuménique. Désirez-vous ajouter quelque chose ?

Lorsque je suis devenu assistant à la faculté de théologie de Fribourg, j’ai commencé une thèse sur Cajetan et Luther. Le président de l’Institut Œcuménique de Fribourg, actuellement recteur de l’Université, m’avait demandé d’entrer dans le conseil de l’Institut Œcuménique. Je lui ai répondu que c’était un peu tôt, que je devais avancer dans ma thèse. Mais il m’a convaincu en disant : « Aujourd’hui, il y a deux types de personnes pour qui l’œcuménisme ne sert plus à rien. Ce sont ceux qui pensent qu’il n’y a plus de différences entre nous, donc qu’il est inutile de continuer le dialogue. Et ceux qui pensent que le dialogue va nous faire perdre notre propre identité, donc qu’il faut l’éviter. Entre ces deux positions, il y a ceux qui estiment qu’il est important de dialoguer. Et ils ne sont pas si nombreux ». Cela m’a convaincu de participer à cet Institut.

Propos recueillis par Paulino Gonzalez et Martin Hoegger – Fribourg, le 29 février 2012

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