Difficile de rendre compte d’une assemblée mondiale du Conseil œcuménique des Églises (Busan, Corée, du 30 octobre au 8 novembre 2014). Plusieurs images s’entrechoquent en moi. Celles en particulier des moments de cultes et des partages bibliques, temps forts où l’on vit devant Dieu et dans la convivialité ce qu’on approfondira par la suite dans les séances de plénières. Cette assemblée a été priante ; elle a cherché à enraciner dans la communion en Dieu les thèmes classiques du mouvement œcuménique : unité et mission, paix et justice.

* Par Martin Hoegger

Danse par le groupe philippin Teathro Ecumenikal sous l'arbre de Vie.
Danse par le groupe philippin Teathro Ecumenikal sous l’arbre de Vie.

L’arbre de vie. « Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix ». Le logo de l’assemblée est un arbre d’où s’envolent des colombes. Nous sommes en Asie, le continent où vit plus de la moitié de la population mondiale, avec la plus grande croissance économique et ecclésiale. Pour ma première visite en Asie, j’ai ressenti ce foisonnement de la vie. La Corée du sud, un des pays les plus pauvres du monde il y a 50 ans, est aujourd’hui prospère. J’ai pu découvrir des Églises en pleine croissance et j’ai un peu rêvé quand j’ai participé à une étonnante soirée culturelle coréenne dans l’Église presbytérienne de Myungsung, à Séoul. Fondée il y a 30 ans avec 20 personnes, elle compte aujourd’hui 100’000 membres. Dieu veut la vie et la vie c’est grandir, s’épanouir vers la plénitude. Durant cette soirée une évocation de l’histoire de l’Église en Corée s’est terminée par l’image de pousses qui grandissent. Cette vitalité m’a dynamisé !

 

Pour sûr, cette prospérité a aussi un revers de la médaille. Les Églises coréennes commencent à découvrir que des jeunes les quittent, happés par la sécularisation et l’activisme. La vie, thème de la première plénière, est menacée par toutes sortes d’ennemis. Le directeur du programme des Nations unies contre le Sida (Onusida), le malien Michel Sidibé appelle les Églises à s’engager davantage pour lutter pour la vie et à inclure les marginaux. Plusieurs autres témoignages admirables illustrent cet engagement pour la vie et une telle assemblée leur donne une voix et un visage. Comme Wedad Abbas Tawfik, une orthodoxe copte, qui voit dans l’islamisme radical, la menace pour la vie des chrétiens en Égypte et au Moyen Orient, ainsi que Deepa Anna Choudire, médecin luthérienne qui témoigne de son combat contre l’avortement des filles en Inde où il manque 14 millions de femmes.

 

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Le tambour et le gong : la Corée. Chaque culte commençait et se terminait par un coup de gong ou un roulement de tambour. Divers groupes coréens frappaient hardiment sur ces deux instruments, à tel point qu’on ne s’entendait plus parler dans le « Madang »,  ce grand hall où se trouve une centaine de stands. Ils symbolisent la Corée, notre pays hôte. A la fin de l’Assemblée, les Églises coréennes ont été longuement applaudies pour leur générosité et leur sens de l’organisation. Leur hospitalité et leur foi vivante m’ont édifié. La visite dans les Églises a été un moment inoubliable, ainsi que la prière pour la paix et la réunification entre les deux Corée sur la ligne de démarcation.

 

Le thème de l’assemblée n’est pas nouveau, puisqu’il se situe dans la ligne du Rassemblement œcuménique pour la justice, la paix et l’intégrité de la création de Séoul en 1990, mais il est plus actuel que jamais, tant les tensions sont grandes entre les deux frères ennemis coréens. Inviter les Églises à prier pour la paix, la prise de conscience de la justice et du respect de la création fait partie de la vocation du COE. Les Églises de Corée (et plus généralement d’Asie), prises dans le tourbillon du développement (avec son cortège d’injustices), ont besoin d’entendre ce son du gong. Mais il ne convient pas à tous : chaque jour devant le Bexco, le centre des congrès de Busan, des protestataires brandissaient des panneaux hostiles au COE. La Corée est entrée dans ma prière. La déclaration sur la paix et la réunification de la péninsule coréenne, longuement discutée, appelle les Églises à prier et à s’engager pour cette terre scindée en deux.

 

Une célébration de renouvellement du baptême a eu lieu durant le culte sur le thème de la mission
Une célébration de renouvellement du baptême a eu lieu durant le culte sur le thème de la mission

L’eau vivifiante : la mission. La réflexion sur la mission a commencé par un culte et un partage biblique sur la conversion et le baptême du fonctionnaire éthiopien. L’accent est mis sur l’action de l’Esprit saint qui conduit l’apôtre Philippe à le rencontrer. La mission de l’Église, c’est d’abord participer à celle de l’Esprit saint vivifiant. Le nouveau document du COE sur la mission « Ensemble vers la vie » l’affirme. Stephen Bevans, théologien catholique des États Unis, note la proximité de ce texte avec la réflexion de Jean-Paul II.

 

 

Ce dernier écrivait que « l’Esprit saint est le principal agent de la mission ». Pour la pentecôtiste chilienne Cecilia Castillo Nanjari l’Évangile nous conduit à mener une vie en toute honnêteté. Quant à l’évêque orthodoxe syriaque Geevarghese Mor Coorilos, il voit dans la vie de la Trinité, toute faite de don réciproque, le fondement du partage avec tous. Dénonçant la convoitise comme une idolâtrie, il parle de la mission comme d’une ascèse. Avec le pape François, dont il se sent proche, il témoigne, par son engagement en faveur des Dalits, que la mission ne va pas depuis le centre vers les marges, mais elle part des périphéries pour atteindre le centre.
« Notre mission, c’est la diaconie et l’évangélisation », ai-je lu dans le livret présentant l’Église presbytérienne de Myungsung, à Séoul. Dans son rapport, Olav Tveit, le secrétaire général du COE, dit la même chose. Une « conversation œcuménique » sur le thème de l’évangélisation rappelle qu’elle nécessite avant tout la revitalisation des membres de l’Église (21 conversations en groupes restreints ont permis, en quatre rencontres, d’approfondir des questions souvent sensibles). Participant à une « conversation » sur le renouveau de l’Église, j’ai entendu un remarquable exposé de Justin Welby, le nouveau archevêque de Canterbury, sur ce thème. Oui, l’Église a besoin partout de renouveau, qui viendra par notre réponse fidèle à l’Esprit saint.

 

L'unité dans le respect de la diversité est l’œuvre de l'Esprit saint. Icône de la Pentecôte offerte par l’Église orthodoxe de Corée
L’unité dans le respect de la diversité est l’œuvre de l’Esprit saint. Icône de la Pentecôte offerte par l’Église orthodoxe de Corée

Le feu et le vent : l’unité. Une icône de la Pentecôte donnée au COE par l’Église orthodoxe de Corée et la méditation du récit des Actes des Apôtres ont introduit le thème de l’unité. Mais ce qui m’est apparu d’abord à Busan, c’est l’extraordinaire diversité de l’Église. Quoi de commun entre nous sinon la personne de Jésus-Christ ? Il faut le mettre toujours au centre pour tendre à une unité spirituelle, comme l’a dit avec force le chef de l’Eglise arménienne, Karékine II, lors de la célébration d’ouverture. En faisant cela, on découvre les dons des autres et une meilleure complémentarité. La pierre de touche étant l’humilité. L’anglicane Mary Tanner rappelle que si le premier but du mouvement œcuménique est de tendre vers l’unité visible, la route est encore longue. L’unité requiert le repentir, la justice et la paix dans l’Église.  Pour l’archevêque roumain Nifon, la grande contribution de l’orthodoxie est la spiritualité de communion et le plus grand défi reste l’ecclésiologie. Pour partager la même coupe l’unité de la foi est nécessaire.

 

 

Le secrétaire général de l’Alliance baptiste mondiale Neville Callam estime que les positions conflictuelles des Églises sur les questions morales créent la confusion et cette situation est pour lui intolérable. Les questions morales divisent davantage que la doctrine. Le  « coup de gueule » de cette assemblée est d’ailleurs venu du Métropolite orthodoxe russe Hilarion critiquant les positions de certaines communautés chrétiennes au sujet de l’homosexualité qui « se sont depuis longtemps engagées dans la voie de la révision de la doctrine morale, afin de l’adapter aux tendances actuelles ». Cette question de l’orientation sexuelle a polarisé la discussion de la Déclaration sur l’unité que les délégués devaient adopter. Fallait-il y mentionner ce thème ? L’assemblée décida que non, car cette question n’a pas encore fait l’objet d’un dialogue. Force est de constater les grandes divergences entre le nord et le sud, l’ouest et l’est sur ce thème, évoqué à plusieurs reprises. Toutefois avec la démarche sur le « discernement moral », initié il y a quelques années, le COE veut inviter les Églises à dialoguer sur les questions morales sensibles et sur le sens d’une Église inclusive. Deux conversations œcuméniques ont approfondi ces sujets.
« A 50 degré en dessous de zéro, les différences s’estompent », dit avec humour Marc MacDonald, évêque anglican en Alaska, rappelant que dans un contexte difficile on ne peut se payer le luxe de souligner les différences. A la fin de la plénière sur l’unité, deux frères de Taizé ont invité au silence, à la prière et au chant « Laudate omnes gentes ». Un moment qui a fait communion entre nous et nous a encouragés à continuer sur le chemin de l’unité visible.
Comme pour le document sur la mission, les Églises sont invitées à recevoir et à discuter la déclaration sur l’unité. Une unité que le COE veut construire avec toutes les Églises, comme en témoignent les nombreux messages d’autres organisations ecclésiales, tels que l’Alliance évangélique mondiale, le mouvement de Lausanne et le Forum chrétien mondial, lequel donne un espace à toutes les Églises non membres du COE, dont l’Église catholique romaine, pour approfondir leur communion.

 

Justice dans le partage des biens de la terre
Justice dans le partage des biens de la terre

Les fruits de la terre : la justice.  Ils doivent être partagés entre tous, alors que la cupidité détruit le lien social. Ce qui est arrivé à Naboth avec sa vigne convoitée par Achab (texte biblique approfondi en petits groupes) reste d’actualité. Il est une figure du Christ, le juste persécuté, qui a assumé toute l’injustice du monde. Martin Kohr, de la Malaisie, appelle à prier et à agir comme Jésus l’a fait, et a critiqué les bénéfices excessifs. L’allemande Julia Duchrow voit la vocation des Églises dans la protection de la dignité humaine, créée à l’image de Dieu. Cela signifie aussi qu’il faut s’attaquer aux causes structurelles de l’injustice, arracher les racines de la cupidité en vivant l’Évangile de l’humilité et de la vie, comme le dit le grec orthodoxe Loukas Andrianos. La perspective théologique de cette plénière sur la justice est apportée par l’argentin Joseph de Patara, du Patriarcat œcuménique : « le chemin de la justice véritable consiste à revenir au Christ. La justice est d’abord un problème spirituel. Ayons le Christ dans notre horizon, agissons avec lui avec courage, en laissant de côté tous nos préjugés ».

 

Une conversation œcuménique invite à faire un examen critique au sujet de la cupidité et à passer d’une économie axée sur le profit et la cupidité à une économie basée sur le bien commun.
« L’éco-justice » est le nouveau nom donné au respect de la création. Un pasteur de Tuvalu témoigne  de la montée des eaux du Pacifique menaçant de submerger son île. Un atelier explique les conséquences écologiques du mur séparant Israël de la Palestine. Selon Guillermo Korber, membre du staff du COE, l’éco-justice est un thème lié à la spiritualité ; le même Esprit qui se mouvait sur les eaux (dans la Genèse) et qui appelle l’Époux (dans l’Apocalypse) nous anime pour être solidaires avec ceux qui souffrent et avec le gémissement de la création. Il faut entendre à la fois le cri du pauvre et celui de la création.

 

Heureux ceux qui font fleurir la paix!
Heureux ceux qui font fleurir la paix!

Les fleurs : la paix. « Je vous laisse ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde donne » (Jean 14,27). Dans notre groupe biblique, nous avons souligné l’enracinement en Jésus-Christ de la paix, sinon elle reste une notion vague. Il s’agit en fait de la paix de la croix. « Heureux les artisans de paix » : Jésus a vécu jusqu’au bout cette béatitude. Dans la communion avec lui, nous pouvons nous aussi faire fleurir la paix. La plénière sur ce thème a donné la parole à quelques ouvriers paix. Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, compte sur les Églises pour « poser les fondations de la confiance et de l’amitié sur lesquelles on peut construire la paix et la prospérité ».

 

Pour Leonardo Emberti Gialloreti, de la Communauté de S. Egidio, « la force chrétienne repose sur le fait de n’avoir aucun intérêt politique et économique, et cette force apporte la vraie paix ». Leyman Gbowee, lauréate du prix Nobel de la paix pour son action au Libéria, témoigne : « il a fallu d’abord que je guérisse de la haine avant de m’engager pour la paix. C’est l’œuvre de Dieu et ma vocation ». Le théologien coréen Chang Yoon-Jae dit son espérance pour une vraie paix sur la péninsule coréenne. L’armistice a été signé en 1953, mais aucun traité de paix ; alors à tout moment la guerre peut éclater à nouveau. Un moment émouvant a été l’interview d’une jeune iranienne, Agata Abrahamiam, appartenant à l’Église orthodoxe arménienne, par un pasteur américain. En l’écoutant dire combien son pays souffre des sanctions économiques, ce dernier, très touché, dit après un long moment de silence : « que Dieu ait pitié de nous et de notre âme…La paix est un mouvement vers la croix. Un appel à nous impliquer dans un mouvement radical ». Après avoir obscurci la salle et allumé une bougie, le modérateur de ce moment de grâce, l’archevêque anglican du Cap, Thabo Makgoba, a invité l’assemblée à chanter « This little light of mine » et à échanger un signe de paix.

 

Olav F. Tveit, secrétaire général du COE lavant les pieds à un jeune steward
Olav F. Tveit, secrétaire général du COE lavant les pieds à un jeune steward

Le lavement des pieds. Servir ensemble. Un beau geste a été vécu lors du dernier culte matinal, celui du lavement des pieds. Cette photo d’Olav Tveit, secrétaire du COE, versant de l’eau sur les pieds d’un jeune est comme une icône de cette assemblée. Une assemblée invitant les Églises à servir les autres, à prier ensemble et à s’engager pour la justice et la paix. La vie spirituelle en a été l’accent : elle a ressourcé et traversé tous les moments. Cette vie m’a fortement imprégné, comme dans peu d’autres assemblées œcuméniques. Avec le pasteur rwandais André Karamaga, je peux dire que « je suis témoin de ce miracle à chaque assemblée du COE : celui de la rencontre entre des chrétiens des quatre coins de la terre. Le centre de gravité du christianisme ne se trouve pas dans tel ou tel lieu, mais dans le Christ ».

 

 

 

 

 

 

Cette assemblée a renouvelé ma confiance que rien ne remplace la rencontre entre chrétiens de tant d’Églises avec des différences notables dans leurs ecclésiologies et leurs positionnements éthiques.

Prier ensemble, se rencontrer dans l’esprit de bienveillance du Christ ont une grande signification pour l’œcuménisme. Certainement le Dieu de la vie, n’est pas indifférent à la recherche de personnes qui ont à cœur son unité ; je suis confiant qu’en réponse à notre désir de communion, il nous guide vers plus de vérité dans la charité, vers plus de paix dans la justice.

* Martin Hoegger, pasteur, responsable de l’œcuménisme dans l’Église évangélique réformée du Canton de Vaud.

Photos : P. Williams et C. Knoch


Quelques liens utiles:

Journal de l’assemblée

Site de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse sur l’assemblée.

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