Chrétiens Ensemble (C.E.) : Michael Mutzner, vous êtes Secrétaire général adjoint du Réseau évangélique suisse, pouvez-vous nous présenter cette organisation ?

M. Mutzner : Le Réseau évangélique suisse (RES) est une plateforme qui a pour mission de rassembler les croyants de confession évangélique : les chrétiens, les œuvres et les Églises, mais aussi les unions d’Églises. On peut d’ailleurs être membre du RES aussi bien en tant qu’individu, en tant qu’Église, en tant qu’organisation ou en tant qu’union d’Églises (voir en encadré la liste des Églises membres).
Le RES est issu de l’Alliance évangélique fondée à Londres en 1846 dans une démarche de rassemblement interconfessionnelle. C’est d’ailleurs pour décrire le travail de l’Alliance évangélique, que le mot « œcuménisme » a été inventé, par Adolphe Monod. L’Alliance évangélique a joué un rôle précurseur dans le travail visant à stimuler l’unité chrétienne. En Suisse, le premier secrétaire de l’Alliance évangélique à Genève n’était autre qu’Henry Dunant, connu surtout comme fondateur de la Croix-Rouge et premier prix Nobel de la paix.

C.E. : En tant que Secrétaire du Réseau évangélique suisse vous êtes conduit à rencontrer beaucoup organisations et membres d’Églises, qu’elle est votre expérience dans le domaine œcuménique ?

M. Mutzner : Au niveau protestant, le RES participe a deux rencontres intra-protestantes par année où sont représentées les Églises évangéliques et les Églises réformées suisses (via la FEPS). Sur le plan romand, nous rencontrons également une fois par année la Conférence des Églises Réformées de Suisse romandes. Ces temps permettent de soigner la relation, de nous connaître, d’échanger des informations.
Avec les catholiques, nous avons au moins une rencontre par année avec Mgr Charles Morerod, le Vice-Président de la Conférence des Evêques Suisses, et qui est en charge du dialogue œcuménique.
En ce qui concerne la CTEC-CH, le RES n’en est pas membre puisque seules les Églises peuvent actuellement en faire partie. L’Armée du Salut, membre du RES est aussi membre de la CTEC-CH. D’autres unions d’Églises évangéliques sont également impliquées au sein de la CTEC-CH, en particulier, les méthodistes et les baptistes.
Après, sur le terrain, le RES laisse chaque Église libre de se positionner sur la question de l’œcuménisme. Nous demandons simplement à nos membres de respecter le choix des autres membres du RES qui auraient des positions différentes sur cette question. Nous évitons aussi généralement le mot « œcuménique », souvent porteur d’une connotation un peu négative chez les évangéliques et qui ne veut pas dire la même chose pour tout le monde.

C.E. : Pouvez-vous déjà voir des résultats concrets découler de ces rencontres ?

M. Mutzner : Oui, cette année un projet commun rassemblant toutes les composantes du christianisme en Suisse a pu voir le jour : un appel conjoint à la prière la veille du Jeûne fédéral. Cet évènement s’est tenu à Berne le 14 septembre 2013. C’est la première fois depuis des années qu’un tel évènement commun a été organisé. Près de mille personnes étaient présentes et un appel à la prière signé par 136 parlementaires de tous bords a été lu.
Nous espérons qu’à l’avenir, nous pourrons aussi davantage nous exprimer d’une seule voix, lorsque nos positions se rejoignent, par exemple pour défendre la liberté religieuse dans le monde et dire notre solidarité avec l’Église persécutée.

C.E. : Pouvez-vous nous partager brièvement votre parcours de vie et ce qui vous a conduit à cet engagement ? Pouvez-vous nous partager une expérience qui vous a marqué dans le domaine de l’œcuménisme ?

M. Mutzner : J’ai grandi dans une famille chrétienne évangélique. Mon père est pasteur. J’ai vu la position de mon père évoluer au fil des années, tandis que le nombre de contacts œcuméniques grandissait. Une certaine ignorance réciproque a laissé place à des relations et des échanges fraternels, notamment avec les catholiques. Ensuite, j’ai eu l’occasion de vivre ma première expérience professionnelle dans une organisation catholique : Franciscans International. C’est une ONG qui a pour vocation de représenter les Franciscains à l’ONU et qui lutte pour le respect des droits humains des plus défavorisés. C’est une expérience qui m’a beaucoup marquée. La spiritualité franciscaine a fait évoluer mon rapport à l’argent et aux biens matériels.
En lien avec cette spiritualité j’ai pu vivre une expérience profonde lorsque j’ai participé à une retraite spirituelle d’une semaine à Assise. Durant ces années de travail avec
Franciscans International, j’ai été touché par les rencontres avec des personnes qui ont renoncé à tout pour suivre Dieu. Des personnes qui ont une forte relation et qui m’ont beaucoup marqué.

C.E. : Durant des années les Églises évangéliques sont restées en retrait par rapport à l’engagement œcuménique, aujourd’hui on perçoit un fort désir d’engagement pouvez-vous nous dire ce qui a conduit à une telle décision ?

M. Mutzner : C’est vrai. « Christianisme aujourd’hui », mensuel chrétien d’information, a consacré dans un numéro récent, tout un dossier à cette question de l’œcuménisme, parlant en particulier d’un « printemps dans les relations entre évangéliques et catholiques ». Je crois que dans le contexte d’une culture postchrétienne où les chrétiens confessants se font de moins en moins nombreux, et où le mouvement qui connaît la plus forte croissance est celui des sans-religions, nous sommes poussés à nous rapprocher les uns des autres et à réfléchir à notre témoignage commun dans la société. La sécularisation remet aussi en question le concept d’une Église multitudiniste et territoriale. Les évangéliques, pour qui la question de l’engagement personnel est très importante, constatent que par la force des choses, les Églises chrétiennes traditionnelles en Occident se développent progressivement vers des communautés de confessants.
D’une manière générale, on constate que le respect mutuel grandit, ce qui est une bonne nouvelle. Les évangéliques sont mieux reconnus par les autres composantes du christianisme, même s’il reste parfois encore des progrès possibles à faire de ce côté-là. Un bon exemple de cette dynamique : le fait que pour la première fois de l’histoire, un document conjoint rassemblant sur le plan mondial les institutions faîtières catholiques, protestantes et évangéliques a été signé. Ce document intitulé « Témoignage chrétien dans un monde multi religieux » rappelle l’importance du témoignage chrétien, dans le respect de la liberté de conscience de chacun, en prenant Jésus-Christ comme exemple suprême.

C.E : Vous êtes aussi le représentant permanent de l’Alliance évangélique mondiale (AEM) à l’ONU à Genève, quelle réflexion tirez-vous de ce mandat pour l’unité chrétienne ?

M. Mutzner : Dans le cadre de ce mandat, je me rends compte que l’Église de Jésus-Christ ressemble parfois à un géant endormi. Nous n’avons pas encore suffisamment réalisé la force de transformation et l’impact positif que nous pouvons avoir sur le monde, si nous vivions et partageons l’Évangile à tous les niveaux de la société. L’Alliance évangélique mondiale représente six cent millions de chrétiens. Nous sommes convaincus qu’il faut donner la parole à ces croyants. C’est précisément notre but avec cette présence à l’ONU puisque nous voulons donner l’occasion aux communautés de croyants du monde entier de pouvoir venir exprimer devant cette tribune internationale leurs préoccupations en lien avec les situations d’injustice qu’ils rencontrent.
Il nous arrive de collaborer avec les représentants du Saint-Siège à l’ONU ou avec le Conseil œcuménique des Églises. Ce dernier soutien par exemple actuellement notre campagne mondiale contre la corruption intitulée « Exposed ».

C.E. : Quels vous semblent être les défis actuels dans le domaine œcuménique ?

M. Mutzner : On dit parfois que l’œcuménisme est actuellement en panne. Pour moi, l’œcuménisme progressera si nous sommes en mesure de nous rapprocher autours des points essentiels que sont la reconnaissance de la Bible comme Parole de Dieu, la centralité de Christ et de son œuvre accomplie à la croix et la nécessité d’une relation personnelle à Dieu. Pour nous les évangéliques, ce sont des incontournables.
Personnellement, j’ajouterais qu’il faut se souvenir que l’unité n’est pas juste une fin en soi. Elle est une manière de rendre honneur à Dieu et à son œuvre de rédemption. Elle doit aussi servir comme un point de départ pour nous aider à accomplir notre mission de témoins du Christ dans le monde. Dans les milieux évangéliques, nous sommes très sensibles à la conversion personnelle qui doit porter des fruits dans la vie de tous les jours. Ce que je souhaite, c’est que ces fruits soient visibles dans la vie du croyant, mais aussi dans la vie de la
communauté des croyants, de l’ensemble des disciples de Jésus. Nous sommes appelés à être une communauté qui fait envie, de par l’amour que nous nous portons les uns envers les autres. Cet amour doit être visible à tous les échelons, depuis la base jusqu’aux leaders et doit déboucher sur un témoignage rendu à Jésus-Christ.
Genève, le jeudi 24 octobre 2013

Unions d’Églises membres du Réseau évangélique suisse (RES)

Armée du Salut – Division Suisse romande (AS)
Association vaudoise d’Églises évangéliques (AVEE)
Conférence Mennonite Suisse (CMS)
Églises Évangéliques Apostolique Romande (EEAR)
Fédération d’Églises et Communautés du Plein Evangile (FECPE)
Fédération romande d’Églises évangéliques (FREE)
Union des Assemblées Missionnaires (UAM)
Union des Églises Chrischona Suisse (UEEC)
Union des Églises Évangéliques de Réveil (UEER)

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