"Je suis la Lumière du monde". Tableau de Paz Fonjallaz. Concours de la CECCV.
« Je suis la Lumière du monde ». Tableau de Paz Fonjallaz. Concours de la CECCV.

*Par Jean-Louis Chancerel Durant la célébration œcuménique du 5 octobre 2014 (Cathédrale de Lausanne) sur le thème « Beauté de Dieu, beauté du monde », Jean-Louis Chancerel a apporté cette méditation.

L’homme domine la Création et en est responsable

L’environnement de l’homme a été créé et existait avant l’homme lui-même. Après les deux premiers jours de la Création, dans le livre de la Genèse (1 11-13), on peut lire : « … Dieu dit : Que la terre produise de la verdure, de l’herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Et cela fut ainsi. La terre produisit de la verdure, de l’herbe portant de la semence selon son espèce, et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon ».

Le contexte de vie est en place, l’alternance du jour et de la nuit, la séparation de l’eau et de la terre. Tout ceci se peuple de vie de toute nature et attend l’homme. En effet, ce n’est qu’après avoir créé et mis en place ce contexte « … qu’il créa l’homme et la femme à son image, les bénit, les plaça dans le jardin d’Eden et leur dit : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. Et Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence: ce sera votre nourriture ».

Tout est en harmonie et l’homme y a sa place. Il a, selon la Bible, un statut particulier dans la Création ; Dieu lui a confié l’environnement qu’il avait créé les premiers jours ; il lui a donné une responsabilité dont il n’est pas toujours digne. Par exemple, en signe de prééminence sur l’environnement, le Créateur lui a donné le pouvoir de nommer chaque créature. L’Éternel Dieu fit venir tous les animaux vers l’homme, « … pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l’homme. Et l’homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs » (Gn 2 19-20). Or nommer est un acte fondateur ; le nom est consubstantiel à la personne ou à la chose ; elle fait partie de ce qu’elle est. Ce nom est ce qui complète la Création. L’artiste nomme son œuvre et la signe ; toute œuvre continue à sa façon la Création par le pouvoir que Dieu a donné à l’homme dernier créé.

Saint Grégoire de Naziance considère l’homme comme le trait d’union entre Dieu et la Nature, entre le monde matériel et le monde spirituel ; il est l’économe de la création ; il se doit d’être « un intendant fidèle et prudent » (Lc 12 42). Il est de notre devoir de préserver la Création qui nous a été donné en partage par Dieu. Comme l’écrit encore ce début d’année 2014 le Patriarche de Constantinople Bartholomée Ier : « … la différence – ou la spécificité chrétienne – (par rapport notamment aux écologistes) réside dans notre conception du monde, et non dans le but recherché… . La croyance en l’homme comme « économe » et « prêtre » de la création est marqué par un sens profond de justice et de modération. Nous sommes donc appelés à préserver la création en servant son Créateur ».

Tout acte de préservation et valorisation de notre environnement est une prière à Dieu. Nous lui offrons ce que nous faisons en guise de remerciement de ses bienfaits. Cette différence d’une conception chrétienne du monde qui nous entoure avec une conception scientifique de l’écologie n’est pas une réfutation des progrès des savoirs, elle s’inscrit dans une définition de l’homme avant tout dans sa relation à Dieu ; la relation à la nature ou à la société est seconde et s’inscrit dans cette relation à Dieu qui la fonde entant qu’être responsable de la nature et de la culture. Toute exploitation abusive et uniquement mercantile de la planète perpétue le péché originel et va à l’encontre de tout sens à la production ; elle est alors réduit à l’utilité. Or, il nous faut comme dans la prière eucharistique rendre à Dieu ce qui est à Dieu : « ce qui est à Toi, le tenant de Toi, nous te l’offrons, en tout et pour tout ».

La production et l’œuvre d’art

En fait, notre relation aux êtres vivants et aux choses matérielles reflète notre rapport à Dieu. Il y a dans ce qui est géré et produit par l’homme quelque chose qui est de l’homme qui l’a produit, quelque chose certes qui est enfermée dans une matérialité et une utilité, mais qui reste de l’humain, qui témoigne de l’humanité du producteur. Le travail n’est pas uniquement une punition ; il devient parce qu’il participe de la création une prière. Nous l’acceptons volontiers pour ce qui est de l’œuvre d’art, nous avons beaucoup plus de peine à le prendre en considération pour toute production utilitaire dans la mesure où sa production est dépourvue de signification pour celui qui la fabrique.

Et, pourtant, en dépit d’une farouche volonté d’industrialiser la production, celle-ci résiste et chaque objet même manufacturé conserve en dépit des volontés marchandes sa spécificité. L’abstraction de la production qu’est par exemple le travail répétitif et sans signification ne peut être qu’une idée, elle ne peut aboutir à devenir une réalité sinon elle devient le point de départ d’un totalitarisme qui donne à l’homme un statut d’objet parmi les objets. Il faut se situer dans le concret des phénomènes. Comme le dit le Patriarche Bartholomée Ier, cela ne va pas sans une certaine ascèse ; «… il faut réduire notre consumérisme par la modération et l’abstinence, ainsi que par la pratique du jeûne et d’autres disciplines spirituelles similaires ». Ces pratiques s’inscrivent dans notre relation à Dieu et à nous-mêmes ; elles n’ont pas vocation à être ostentatoires et à se laisser consommer par le regard d’autrui. Nous nous sculptons nous-même dans le projet de Dieu ; c’est en cela que nous participons à la Création.

L’œuvre d’art n’est pas une production utile et sans signification. Au contraire, elle est le résultat d’un acte de création ; or, c’est à travers l’acte que nous existons au monde contrairement à l’activité qui nous objective et nous réifie au stade d’être une machine à produire. Même si l’acte est difficile à saisir en lui-même. C’est ce qu’exprime le philosophe Louis LAVELLE : «… ainsi la pensée qui saisit tout le reste a toujours paru insaisissable précisément parce qu’on voulait qu’elle ne pût être saisie elle-même que comme un objet » (L. LAVELLE, 1946 : 11). L’œuvre d’art est une prière. C’est une recherche en soi de quelque chose qui nous vient du cœur ; ce n’est pas une réflexion théorique, c’est un accueil dans la sobriété de ce qui advient en nous d’émotions, de sentiments ; ce n’est pas une recherche tournée vers l’extérieur ; « … elle est descente dans les profondeurs du corps et de l’âme, voyage au corps du corps qu’est le cœur et à l’âme de l’âme qu’est ce même cœur devenu esprit… ». C’est ce que Marc Antoine Costa de Beauregard à propos de la démarche hésychaste. Le travail est une liturgie qui transfigure ce qui est de l’humain en quelque chose qui prend utilité et sens dans la collectivité et comme prière dans notre relation à l’Amour de Dieu.

La création n’est pas notre possession ; elle est un don de Dieu, un don d’émerveillement, de beauté et d’amour ; il faut le recevoir en action de grâce et avec gratitude. Contrairement aux idéologies matérialistes, il ne peut y avoir de domination du monde par les hommes. Si c’est le cas, on entre alors dans l’inhumain, c’est l’environnement qui domine alors l’homme et le fait à son image : matérialisé et réduit à des instincts de toute nature. L’homme n’est plus totalement homme, l’homme est alors morcelé, divisé, amputé d’une partie de lui-même ; il n’existe plus pour lui-même : il existe pour la production, il est alors producteur ou pour la consommation, il est consommateur, objectivé par l’organisation ou le regard que l’on porte sur lui.

Allons encore plus avant. Avec Hans KUNG (1996 : 40), nous nous posons la question des problèmes plus vitaux et plus essentiels : « … après Auschwitz, le goulag et les deux guerres mondiales, je peux d’autant moins parler, en homme responsable ? ». Peut-on encore parler des bienfaits de la science et des savoirs qu’elle produit lorsque des atrocités sont faites par des peuples se prétendant « éduqués et civilisés » ? Lorsqu’on sent des désirs d’hégémonisme mondial de dirigeants d’Etat, lorsque le nationalisme se propose comme mode de pensée dominant, lorsque des hommes sont considérés comme inférieurs, lorsqu’ils sont réduits à l’inaction ou à être des machines répétitives dans une production qui perd toute valeur. On doit, légitimement, se poser la question de l’urgence de traiter des problèmes écologiques. N’y a-t-il pas mieux à faire ? Par exemple, peut-on parler d’humanisme, d’humanité, lutter contre la pauvreté, lutter contre les inégalités ? Oui, il faut en parler et s’engager comme chrétien dans cette réflexion et poser des actes dans la mesure où ils sont déterminants dans notre rapport à la Création. C’est ce qui apparaît dans notre rapport à notre contexte et à la vie.

La religion et l’œcuménisme qui nous rassemble ont à considérer cet homme, à le tirer de son inhumanité, à le faire accéder à la connaissance de lui-même et du monde qui l’entoure, à le respecter et à participer par ses actes à la Création. La spiritualité et l’art vont le réconcilier avec lui-même et, pourquoi pas, avec Dieu qui est en nous.

*Jean-Louis Chancerel, membre de l’Église orthodoxe, est membre du comité de la Communauté des Églises dans le Canton de Vaud

Bibliographie

BATHOLOMEE Ier – (2014) – Religion et Environnement : quels défis spirituels pour aujourd’hui ? – Paris – Conférence donnée à l’Institut Catholique de Paris (doc. ronéo).

COSTA de BEAUREGARD, M.-A. – (2010) – La Voie hésychaste – Arles – Actes Sud. KUNG, H. – (2005) – Petit traité du commencement de toutes choses – Paris – Editions du Seuil.

LAVELLE, L. – (1946) – De L’Acte – Paris – Aubier, Ed. Montaigne.

SIMONDON, G. – (2005) – L’individuation : à la lumière des notions de forme et d’information – Grenoble – Ed. Jérôme Million.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *