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Visite de la Communauté des Eglises chrétiennes dans le Canton de Vaud au Conseil œcuménique des Eglises, Genève. 5 mars 2012. De gauche à droite : Past. Martin Hoegger (CECCV), Clare Amos, responsable du dialogue interreligieux au COE, P. Fadi Daou, prêtre maronite du Liban, Past. Jean-Jacques Meylan (CECCV), Michel Nseir, responsable des relations du COE avec le Proche Orient, Yorgo Lemopoulos, secrétaire général adjoint du COE.

Par Jean-Jacques Meylan. *

Jean-Jacques Meylan se rend chaque année dans divers pays du Proche Orient. Dans le cadre des relations œcuméniques de la Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud, il vient de vivre trois jours avec des personnes du Proche-Orient. Il nous livre ses réflexions suite à ces riches journées

Le « printemps arabe »

Le « Printemps arabe » s’enracine dans la revendication du respect de la dignité humaine. Les élections ont mis en place des régimes dont la valeur démocratique est encore à vérifier. Il est certain que des « processus démocratiques » telles que des élections libres, ne démocratisent pas à eux-seuls la société. Pour qu’une vraie démocratie s’installe, il faut que les mentalités changent. Il faut accueillir la pluralité, respecter les minorités, se dégager du communautarisme. Ce processus a besoin de temps pour s’élaborer afin de permettre à une vraie mentalité démocratique de s’inscrire dans les esprits. On n’en n’est pas encore à ce stade mais il est notoire que de gros efforts sont faits dans ce sens. Une culture démocratique de respect de la diversité et des minorités ne s’instaure pas d’un coup de baguette magique. Il faudra compter sur des dizaines d’années. Le résultat sera certainement réussi pour autant que les grandes puissances ne viennent pas déstabiliser cette évolution positive par leurs intrigues. L’Occident doit dès lors soutenir le mouvement et non pas le discréditer avec méfiance. L’Occident doit faire confiance à ces nouveaux gouvernements, même s’ils vont commettre des erreurs de jeunesse. Il convient d’écouter, d’accompagner et de témoigner de l’amitié au processus en cours.

La situation des chrétiens

La population chrétienne est très diverse suivant les pays. Elle représente env. 30% de la population au Liban, 8 à 10 % en Syrie, en Egypte et anciennement en Irak jusqu’à l’invasion américaine. Cette population réagit de manière très diverse aux événements actuels. Certains, soumis à de trop fortes pressions, fuient leur pays et cherchent refuge en Occident. D’autres s’alignent sur les gouvernements en place et développent avec eux une alliance implicite par crainte d’un changement. D’autres enfin ont une attitude plus constructive et militent en faveur d’une coexistence des peuples et des communautés. Il faut rappeler que des chrétiens ont participé en 1947 à la fondation du parti Baas qui souhaitait promouvoir les valeurs de la laïcité, du socialisme arabe et d’un nationalisme panarabe. Les particularismes et la défense des intérêts personnels ont malheureusement fracturés ces idéaux. Les chrétiens se trouvent maintenant dans une situation fragile. Certains observateurs annoncent même leur disparition dans la prochaine décennie !

Or nos hôtes ne ressentent pas la situation d’une manière si pessimiste. Je relève les paroles de Fadi Daou, un prêtre maronite, professeur d’université, conseiller du Patriarche Raï, très engagé dans le dialogue interreligieux, dont l’engagement spirituel est impressionnant. « Au Proche-Orient on ne se ressent pas comme minoritaire. Nous sommes extrêmement vivants et dynamiques. Nous sommes solidaires avec les musulmans et leurs préoccupations. Parfois même, nous sommes plus proches des musulmans que de certains chrétiens occidentaux. En effet, certains chrétiens occidentaux qui ressentant mal la présence musulmane en Europe projettent sur nous leurs sentiments et nous victimisent en considérant que l’Islam nous persécute, ce qui n’est pas le cas. Si un jour je dois mourir, ce n’est pas parce que je suis chrétien, mais c’est parce que j’ai agi ou dit des choses qui n’ont pas plu à certains. »

La contribution des chrétiens : témoignage…

La situation au Proche Orient me fait penser au Psaume 2, v.1 Pourquoi ce tumulte parmi les nations, Ces vaines pensées parmi les peuples ? Quelle est alors la contribution spécifique que les chrétiens peuvent apporter dans cette situation ? Je vois deux axes :

Premier axe : un témoignage évangélique riche d’humilité, d’espérance, de respect et de profondeur spirituelle (ces qualificatifs pour le distinguer d’un prosélytisme conquérant, arrogant et agressif). Je n’oublierai jamais les dires de Martin Accad, baptiste de Beyrouth, fin connaisseur de l’Islam, professeur d’université. Lorsqu’il rencontrait un musulman désireux de se convertir au christianisme, il lui enjoignait de retourner dans sa famille pour témoigner humblement de sa foi.

Il y a une soif spirituelle dans le monde musulman à laquelle une authentique spiritualité chrétienne peut répondre… si elle arrive à se démarquer du matérialisme idéologique et du libéralisme moral de l’Occident. Marie, Jean-Baptiste et Jésus sont des figures vénérées dans l’islam. Cet axe est mis en valeur par de nombreuses congrégations et communautés de toutes sensibilités qui font un travail remarquable.

…et dialogue.

Second axe : le dialogue interreligieux. Tous ne peuvent pas vivre concrètement un témoignage. Tous, par contre, peuvent entrer dans un état d’esprit qui promeut une approche bienveillante et respectueuse de l’autre et de ses valeurs. « Si tu n’es pas frère en religion, tu es frère en création » disait récemment, à l’ONU, le Shaikh irakien Monir Altarehi. Ses paroles d’ailleurs paraphrasaient celle de l’apôtre Paul aux Athéniens (Actes 17.26). Le dialogue interreligieux invite à développer une solidarité des croyants qui partagent la foi d’Abraham. Son objectif est de construire une vraie solidarité humaine. Dans ce sens il doit dépasser le simple échange verbal formel. Il n’est jamais un moyen tactique d’intérêt, mais il va construire un réel espace de fraternité. Si tout homme, toute femme est créature divine, fils et fille de Dieu, nous pouvons construire cette fraternité commune. Il y aura toujours des chrétiens et des musulmans de surface pour qui l’opposition et l’affrontement de l’autre est constitutif de son identité personnelle. Dans leur situation, la critique de l’autre donne un sentiment d’exister et d’être légitimé. « Il est plus facile de remplir une mosquée / une église en disant du mal des autres. Mais cela n’est pas digne des enfants de Dieu ».

Un authentique enfant de Dieu est invité à accéder à la profondeur de la foi, dans le dépouillement et l’épuration de ses convictions et de ses certitudes pour rejoindre l’essentiel : la présence de Dieu. Certes cette présence se dira de manière différente. Mais nous sommes invités « à ne pas juger avant le temps » (1Co 4.5) et à remettre tout jugement à Dieu. L’objectif du dialogue est de construire une fraternité. En cela la spiritualité de l’autre devra toujours être considérée comme authentique et sincère, de la même valeur que la sienne. Le dialogue ne peut pas être fécond tant qu’il reste du ressentiment. Le dialogue authentique n’évince pas les interpellations et les critiques, mais celle-ci ne deviennent audibles et recevables que dans une symétrie qui reconnait que mon propre héritage a aussi ses faiblesses et ses dérives. Le dialogue distingue entre ce qui est important et secondaire. Il proscrit toute généralisation et se recentre sur l’essentiel, notre origine commune en Dieu qui définit alors une cause commune, celle de construire une fraternité humaine.

* Jean-Jacques Meylan est pasteur de la Fédération romande d’Eglises évangéliques. Il préside la Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud.

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