« La tâche la plus importante des Églises en Europe, c’est d’annoncer l’Évangile par la parole et par les actes, pour le salut de tous les hommes. A cause d’un manque d’orientation sur de nombreux plans, à cause de la désaffection des valeurs chrétiennes, mais aussi à cause de la quête multiforme de sens, les chrétiennes et les chrétiens sont provoqués particulièrement à témoigner de leur foi »… (Charte œcuménique européenne)
La Commission Eglises et Religions de la CECCV est en train de traiter ce sujet très sensible quand on l’approfondit. On ne peut pas résumer la perspective d’une prière dans un contexte interreligieux seulement de manière pratique (qui, comment, quand), car elle suscite des questions théologiques fondamentales (sens de la prière, relation à Jésus-Christ). Le sujet demande d’abord une meilleure prise en compte des théologies des religions dans chacune des Eglises et n’est pas sans lien avec la prière dans un contexte œcuménique.
Comment être à la fois ouvert aux autres et pleinement enraciné dans sa propre foi?
Parfois on peut avoir l’impression que le dialogue interreligieux dilue l’identité. Dialoguer signifierait cacher sa foi, perdre son profil. Qu’est ce que l’identité chrétienne? Comment le chrétien la partage-t-il? Comment redécouvrir son identité d’une manière ouverte et aimante, et non d’une manière agressive?
Suite au Conseil œcuménique des Eglises, la CECCV a adopté la méthode de prise de décision par consensus dans tous ses travaux. (Voir statuts, art. 5.1)
Le consensus est basé sur l’idée que nous appartenons à une communauté de foi.
Membres du Corps du Christ, tous sont dans une communion les uns avec les autres. En permettant aux minorités d’être entendues, la démarche consensuelle prend au sérieux cette réalité. Plus qu’un changement de procédure, le consensus bâtit une culture où tous ont leur place.
La catholicité de l’Église est fondée dans sa relation au Christ et à toute l’humanité. Œuvre du peintre chinois He Qi
Le terme grec qui se trouve à la racine du mot « catholique » convie l’idée de totalité (« selon le tout ») et désigne ce qui dans l’Église est relation à l’ensemble de l’humanité. Avant les divisions des Églises, tous les chrétiens pouvaient dire sans restriction : « Je crois en l’Église une, sainte, catholique, apostolique ». Mais le mot « catholique » en est venu à désigner ce qui spécifie l’Église catholique romaine, en la distinguant des chrétiens d’autres confessions chrétiennes. C’est pourquoi certaines Églises ne l’emploient plus, lui préférant le terme – moins riche – d’ «universel ». Cependant, toutes les Églises vivent une forme ou une autre de catholicité… mais souvent divergent quand il s’agit de la définir et surtout de l’articuler à une autre forme de catholicité. Du point de vue œcuménique, il faut comparer ces formes de catholicité. Chercher aussi à discerner les fondements communs et les convergences possibles. Quelles « conversions » pourraient être demandées aux uns et aux autres pour qu’une catholicité « plus œcuménique » puisse éventuellement se développer.
Dans sa première lettre aux Corinthiens l’apôtre Paul pose cette question : « Le Christ est-il divisé ? » (1,13) Nous connaissons la réponse. En lui résident la plénitude de l’unité et tous les dons de l’Esprit ; en lui pas l’ombre d’une division : tout circule dans l’amour trinitaire. Le problème est à notre niveau : Paul constate que la communauté à laquelle il écrit vit de graves divisions. Aujourd’hui, après plus de cent ans de mouvement œcuménique, les Eglises désireuses de répondre à l’appel à l’unité du Christ cherchent des voies nouvelles pour mettre en valeur leur diversité et surmonter les divisions héritées du passé.
Une des méthodes est celle de « l’échange de dons ». La Charte œcuménique européenne la propose : « Il est important de reconnaître les dons spirituels des différentes traditions chrétiennes, d’apprendre les uns des autres et ainsi de recevoir les dons des uns et des autres…Nous nous engageons à surmonter notre propre suffisance et à écarter les préjugés, à rechercher la rencontre les uns avec les autres et ainsi, à être là, les uns pour les autres. » (§3)
Dans la ligne de cette Charte, les Églises du Canada ont réfléchi sur le thème de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens en 2014, sur la base du texte paulinien ci-dessus. Elles invitent même les Églises lors de la célébration œcuménique de la Semaine à réfléchir à et mettre en œuvre un « échange œcuménique de dons spirituels »concret.
Comment comprendre cet « échange des dons » ? Voici quelques pistes de réflexions.
La spiritualité du don chez Jésus.
Pourquoi échanger les dons que nous avons reçus ? Soit en tant que personnes, soit en tant qu’Églises ? Parce que Jésus a été un homme qui donne. Comme Messie, il a reçu tous les dons de l’Esprit, mais il ne les garde pas pour lui. Ce que nous gardons pour nous, nous le perdons. Ce que nous partageons non seulement nous ne le perdons pas, mais nous l’approfondissons.
Jésus est apparu aux hommes et femmes de son temps, sur les chemins de Galilée et de Judée, comme « celui qui donne ». C’est ce trait de sa personnalité qui les a frappés : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac. 20,35). Cette parole qu’on a retenue de lui est comme un résumé de ce qu’il a voulu vivre et nous dire. Donner est un verbe essentiel qui nous introduit dans la spiritualité de Jésus.
Jésus a tout donné à son Père, jusqu’à sa vie offerte sur la croix. En retour, le Père l’a ressuscité et nous l’a donné pour qu’il soit présent continuellement sur nos chemins. A notre tour il nous invite à vivre ce « style de vie du don ». Chaque jour est une occasion pour recommencer à vivre sa Parole qui greffe en nous sa spiritualité. Ses Paroles font alors naître en nous une attitude d’accueil des dons que l’Esprit a versés dans la vie de nos frères et sœurs et dans leurs Églises respectives.
Les dons de l’Esprit chez Paul
Rappelons aussi brièvement le sens des dons (ou charismes) chez l’Apôtre des nations. Pour Paul, l’Église née de l’action du Saint Esprit, s’enracine dans la diversité des dons (charismes) de l’Esprit. « Nous avons des dons qui diffèrent selon la grâce qui nous a été accordée ». (Rom 12,6). Déjà Jésus, dans la parabole des talents, accentue la diversité des dons et les devoirs que ces dons impliquent pour chacun. Paul, par l’image du corps, accentue cette idée : « Tout cela est l’œuvre d’un seul et même Esprit qui distribue ses dons à chacun en particulier, comme il veut…Nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. Le corps, en effet, ne se compose pas d’un seul membre mais de plusieurs » (1 Cor 12,11-14).
Paul parle ensuite d’une « voie infiniment supérieure », celle de l’agapè, de l’amour du Christ, versé dans le cœur du croyant par l’Esprit saint. Jésus est venu l’apporter en vivant parmi nous la « relation trinitaire » d’amour. Seul l’amour permet aux dons de circuler dans la communauté. (1 Cor 13) Si l’amour ne nous anime pas, les dons sont creux, « cymbales qui résonnent ». Mais si nous devons être animés par l’amour, il nous faut aussi exercer le discernement des esprits : accueillir sans critiquer oui, mais « en examinant toutes choses et en retenant ce qui est bon » (1 Thess 5,19).
Les charismes chez Jean Calvin
Je trouve un écho de la manière paulinienne de concevoir la vie de l’Église chez Jean Calvin. Il voit dans les charismes des moyens pour entretenir l’unité de l’Eglise. Ceux-ci sont des dons que Dieu accorde, de manière diverse, afin de nous lier les uns aux autres. Car l’Église est, selon le mot de Martin Bucer dont la vision d’Église a influencé Calvin « une fraternité où nul ne vit pour lui-même ».
Pour Calvin, l’unité de l’Église est la responsabilité de tous, un bien précieux à garder. Chacun a reçu un don pour y contribuer. Et c’est une volonté de Dieu qu’il y ait des charismes divers. Le chrétien ne doit pas désirer avoir tous les dons ; les charismes que l’on a reçus doivent être consacrés au bien commun de l’Église. « La différence et la diversité des dons n’a point été mise par la volonté et la disposition des hommes, mais c’est parce qu’il a plu au Seigneur de dispenser de cette manière sa grâce ». (Commentaire de l’Épître aux Romains 12,6). « Dieu n’a pas mis tous les dons en un seul homme, mais plutôt que chacun en a reçu une certaine mesure, afin que les uns aient besoin des autres, et qu’en mettant en commun ce qui est donné à chacun à part, ils s’entraident les uns les autres ». (Commentaire de l’Épître aux Ephésiens 4,7)
On voit donc que pour Calvin, la diversité dans le corps n’est pas un obstacle à l’unité entre les membres, mais elle y contribue, car elle nous conduit à avoir besoin les uns des autres. On ne peut se suffire à soi-même car on n’a pas tous les dons. On doit avoir l’humilité d’accepter d’être aidé par les dons des autres. En particulier, les personnes confirmées en Christ doivent aider les plus faibles. Tous les charismes doivent circuler dans l’Église. « Il faut que toutes les grâces soient communiquées entre les membres du corps du Christ. Donc, plus chacun est confirmé en Christ, plus il est tenu de supporter les faibles ». (Commentaire de l’Épître aux Romains 15,1)
Les dons de la culture
Avant de parler des dons de l’Esprit présents dans les diverses Églises, parlons brièvement des dons de la nature et de la culture. La diversité culturelle est aussi une richesse. Plus nous voyageons et découvrons les diverses nations, cultures et religions, mieux nous découvrons combien elles témoignent de la « grâce commune » de Dieu. Diversité des cultures qui s’expriment par exemple dans les langues. Le père de l’Église Cyrille répondait à ceux qui le critiquaient d’utiliser la langue slave dans l’Église :« N’avez-vous pas honte de ne reconnaître que trois langues dans l’Église et de dire que les autres langues sont sourdes et muettes? Nous savons qu’il y a de nombreuses nations qui lisent des livres et chantent à Dieu dans leurs langues. Les araméens, les perses, les avars, les éthiopiens, les turcs, les khazars, les arabes et les autres ». Que dirait-il aujourd’hui alors que la Bible a été traduite, tout ou partie, en plus de 2500 langues !
Dans le domaine interreligieux, on commence aussi à vivre un « échange des dons », comme en témoigne ce célèbre passage de la Déclaration Nostra Aetate de Vatican II :« L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes ». Accueillir avec discernement tout ce que l’Esprit a mis de beau chez les autres, et qui, souvent, soulignent un élément de notre foi que nous avons peu approfondi ou marginalisé. Je pense par exemple à l’importance du corps et du silence dans les religions orientales.
La pensée d’Oscar Cullmann sur les dons spirituels
Si, dans la métaphore du corps, l’apôtre n’a en vue que les membres individuels de la communauté et non les Églises elles-mêmes, Oscar Cullmann, ce grand phénoméniste protestant, estime qu’étendre ce texte à celles-ci est certainement conforme à la pensée paulinienne. Chez Paul, dans chaque Église locale l’Église une est présente, mais avec des couleurs et des charismes divers.
Voici ce qu’il écrit dans « L’unité par la diversité », un livre qui a marqué la réflexion œcuménique dans les années 80 : « Conformément à sa nature même, le Saint Esprit exerce une action diversifiante…C’est dans cette diversité que réside la richesse de la plénitude du Saint Esprit. Quiconque ne respecte pas cette richesse et veut l’uniformité pèche contre le Saint Esprit » (Cerf, Paris, 1986, p. 21).
Cullmann pense que chaque Église, au cours du temps a développé un charisme caractéristique. Toutefois, un charisme particulièrement développé dans une Église n’est, généralement, pas complètement absent dans l’autre, mais il ne la marque pas de son empreinte d’une façon caractéristique.
Quels sont alors les charismes caractéristiques dans les diverses Églises ?
Les charismes typiques du protestantisme sont d’une part la concentration sur la Bible, d’autre part, la liberté chrétienne qui favorise l’ouverture au monde. Les charismes essentiels de l’Église catholique paraissent être l’universalisme, au sens spatial et temporel, d’autre part, l’institution, l’organisation qui lui permet de s’adresser à ses membres et au monde avec l’autorité nécessaire et qui, en dépit de variantes possibles, crée une unité de structure. Comme charisme de l’Église orthodoxe : l’approfondissement théologique de la notion du Saint Esprit et la conservation de formes traditionnelles de liturgie.
Tous ces charismes risquent d’être déformés. Chez les protestants la concentration sur la Bible peut devenir étroitesse. Le renoncement à tout magistère peut aboutir à un pluralisme produisant un éparpillement doctrinal paralysant. La liberté risque de devenir anarchie et l’ouverture au monde soumission servile à celui-ci, une fausse adaptation aux mœurs. Alors les faiblesses humaines, au lieu d’être, comme dans l’Évangile, pardonnées, sont justifiées.
Dans l’Eglise catholique, le charisme de l’universalisme peut succomber à la tentation de prétendre être seul à posséder la plénitude de l’Evangile et à en être le garant. Un autre danger du rayonnement de l’Eglise catholique est le syncrétisme : l’intégration d’éléments inassimilables, qui ne sont pas contrôlés par la vérité fondamentale de l’Evangile. Le charisme de l’organisation peut se dégrader en institutionnalisme et en totalitarisme. « L’Esprit est étouffé, alors que le charisme de l’institution, au contraire, est destiné à l’entourer d’un rempart protecteur pour le mettre à l’abri des excès anarchiques ».
Quant aux déformations des charismes de l’Église orthodoxe, on peut les voir dans un certain raidissement et formalisme. O. Cullmann conclut : « Mettre en garde contre les déformations des charismes me paraît être une nécessité particulièrement importante, car ce sont ces déformations qui engendrent les divisions hostiles, tandis que les charismes, précisément par leur diversité, créent l’unité ». (p. 30)
Vatican II et Jean-Paul II
L’idée de l’échange des dons se retrouve dans la pensée du pape Jean-Paul II, dans son encyclique sur l’œcuménisme. A la suite du document de Vatican II sur l’unité chrétienne, il souligne combien la grâce de l’Esprit saint active dans les autres Églises contribue également à l’édification des catholiques.
Voici ce que dit Vatican II : « Il est nécessaire que les catholiques reconnaissent avec joie et apprécient les valeurs réellement chrétiennes qui proviennent du patrimoine commun et qui se trouvent chez nos frères séparés. Il est juste et salutaire de reconnaître les richesses du Christ et les effets de sa puissance dans la vie d’autres qui portent témoignage au Christ, parfois jusqu’à l’effusion du sang ; car Dieu est toujours admirable et il doit être admiré dans ses œuvres…Il ne faut pas non plus passer » (Décret Unitatis Redintegratio, n. 4).
Et Jean-Paul II commente : « Ce témoignage commun de sainteté, comme fidélité à l’unique Seigneur, est un potentiel œcuménique extraordinairement riche de grâce » (Ut unum sint (§48).
Un colloque sur la catholicité
Récemment, la Communauté des Églises chrétiennes dans le canton de Vaud a organisé un colloque sur le thème de la catholicité : Vers une catholicité œcuménique ? Dans sa conclusion, il a essayé de caractériser les dons que les diverses Églises peuvent s’offrir les unes aux autres.
Les dons de l’Eglise catholique romaine sont de cultiver la passion de l’universalité et de la mission, le respect du dépôt de la foi, le service rendu par un ministère de communion universelle. Mais face au danger de totalisation et de centralisation, elle doit développer une catholicité de communion et non d’absorption.
Un don de l’Église vieille-catholique est d’avoir revalorisé l’héritage catholique ancien et d’avoir critiqué les dérives d’une forme de papauté trop centralisée. Une autre force est l’ouverture aux autres Églises, son engagement dans le dialogue œcuménique.
Le don que les Églises réformées peuvent offrir aux autres Églises est celui de mieux écouter la Parole de Dieu. Cette Parole a une pertinence universelle et contemporaine, elle suscite la vraie liberté. Mais la faiblesse des Églises réformées est de perdre de vue la conscience de la catholicité, d’avoir une catholicité vulnérable et fragmentée.
Deux dons des Églises évangéliques sont d’insister sur l’importance de la conversion personnelle et de la communauté, puis de proposer à tous un témoignage rendu au Christ : tout l’Évangile doit être annoncé par tous les chrétiens à tous les humains et répondre à tous leurs besoins. Mais leur ecclésiologie comporte le risque d’isolationnisme.
Une force des Églises orthodoxes est de vivre une pleine union entre Églises locales (nationales ou régionales). Une autre force est de vivre et de proposer à tous une fidélité à l’héritage chrétien du premier millénaire. La faiblesse de l’orthodoxie peut se voir dans la multiplication des Église orthodoxes sur un même territoire et la tentation de trop lier l’Évangile avec la culture d’un peuple.
« Je plaide pour une Église tout entière catholique, tout entière orthodoxe, c’est-à-dire fidèle à la foi des Apôtres et toujours prête à se réformer. C’est à ce prix que nous serons ensemble héritiers du Christ et de son Église », a dit François-Xavier Amherdt, professeur de théologie à l’université de Fribourg. Ioan Sauca, directeur (orthodoxe) de l’Institut œcuménique de Bossey, plaide pour une « catholicité ouverte », où l’Église orthodoxe s’enrichit des valeurs spirituelles des chrétiens occidentaux : « En vivant une catholicité ouverte, les chrétiens s’enrichissent réciproquement par des critiques mutuelles et des expériences vécues ».
Voici ce que dit un des articles du document de synthèse de ce colloque : « Toutes les Églises chrétiennes vivent déjà la catholicité à leur manière. Mais aucune Église chrétienne n’est pleinement catholique. La catholicité de chaque Église est imparfaite aussi longtemps qu’elle n’accueille pas la catholicité des autres Églises. Toutes les Églises sont appelées à vivre une catholicité œcuménique en échangeant leurs dons et en reconnaissant leurs manques » (Vers une catholicité œcuménique, CECCV, 2012, §20 )
Seul le Christ est « catholique »
Je voudrais ajouter maintenant, en lien avec notre thème, que Jésus est le seul « catholique » au sens profond de ce terme, qui exprime la plénitude. Oui, Jésus est le Messie qui a reçu tous les dons. En lui réside la plénitude des dons de l’Esprit saint : « En effet, Dieu a voulu que toute sa plénitude habite en lui » (Col 1,19). « C’est en lui qu’habite corporellement toute la plénitude de la divinité ». (Col 2,9). Il la communique à son corps : « Nous avons tous reçu de sa plénitude, grâce sur grâce » (Jean 1,16), afin que nous soyons « remplis de toute la plénitude de Dieu » (Eph 3,19) en connaissant l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance. « Nous avons « tout pleinement en Lui » (Col 2,10).
Ce qui est donc indispensable pour accueillir les dons des autres Églises est de mettre le Christ au centre. Dans chaque rencontre, activité ou réflexion, il faut tout ramener à lui, qui vit dans la communion du Père et de l’Esprit. Nous ne sommes pas le soleil, mais des rayons qui remontent à Lui. Lui seul est le soleil et contient tous les dons qu’il communique. Il nous faut regarder au donateur, pas aux dons. Nous ne sommes pas propriétaires des dons, comme l’a dit avec justesse Edmund Schlink : « Nous ne devons pas considérer que les autres Églises chrétiennes se meuvent autour de notre Église comme si elle était au centre ; il faut au contraire, que nous reconnaissions qu’avec les autres communautés nous gravitons, pour ainsi dire comme les planètes, autour du Christ, soleil dont nous recevons la lumière » (Oekumenische Dogmatik, Grundzüge, Göttingen, 1983, p. 695)
Un échange des dons dans la cathédrale de Lausanne
Depuis l’an 2000, la cathédrale de Lausanne vit un joyeux printemps de l’œcuménisme. Chaque mois les diverses Églises, communautés et mouvements sont invités à préparer une célébration de la Parole. A ce jour 85 célébrations ont été vécues dans ce lieu qui a vu en 1927 l’ouverture de la première conférence mondiale du Mouvement Foi et Constitution.
Une parole m’a marqué, celle prononcée par l’abbé Claude Ducarroz lors d’une grande célébration œcuménique à Pentecôte 2001. Il disait à chaque Église : « Tu me manques. J’ai besoin de toi pour être pleinement « catholique ». Pour désirer le don de l’autre, je dois ressentir qu’il me manque. Si je me suffis à moi-même, je ne peux entrer dans cette démarche d’échange de dons.
Or ces célébrations sont un laboratoire pour vivre cet échange. Chaque premier dimanche du mois, toutes les Églises sont invitées pour une célébration de la Parole. Celle-ci est préparée à tour de rôle par une Église différente. C’est un excellent apprentissage œcuménique d’apprendre ainsi à connaître les Églises et les mouvements. Les communautés de migrants ont également pu préparer des célébrations. Pour elles, c’est un signe fort d’accueil et d’intégration.
Lors d’une des célébrations œcuméniques une prière intitulée Mémoire et actions de grâces a exprimé liturgiquement la spiritualité de l’échange des dons (Voir l’encadré). Les dons des communautés et des mouvements
L’Église est le lieu de l’expérience de l’Esprit saint. On peut la vivre soit dans les paroisses, soit dans des communautés et des mouvements. Chacune de ces communautés participe à la mission de l’Église avec un charisme, une physionomie spirituelle particulière. Je pense, par exemple à l’impact de la communauté de Taizé en Suisse romande avec l’étape suisse du « Pèlerinage de confiance sur la terre », à Genève, en décembre 2007. Mais il y a tant d’autres cellules vivantes avec lesquelles les Églises sont reliées. Un des défis actuels est de reconnaître leur contribution. Églises, communautés et mouvements ne doivent pas marcher séparément, mais accueillir, discerner et communiquer leurs dons.
Une expérience nouvelle depuis quelques années est que ces communautés et mouvements se rencontrent, cherchent la communion plutôt que d’être en compétition. Ils découvrent qu’ils ont des charismes différents et complémentaires et s’enrichissent dans la rencontre. Deux rencontres à Stuttgart rassemblant 200 communautés et mouvements catholiques et protestants, en 2004 et en 2007, intitulées « Ensemble pour l’Europe » étaient un signe de ce mouvement profond de rapprochement, un signe que l’Esprit de communion est à l’œuvre. « Un mouvement des mouvements » est né. Une troisième rencontre a eu lieu à Bruxelles en 2012. Cette rencontre a été relayée dans plus de 150 lieux en Europe, dont la communauté de Saint Loup, dans le canton de Vaud.
Entre les Églises et les mouvements, une estime et une interpellation réciproque commencent à se vivre afin d’être ensemble porteurs de l’amour de Dieu pour ce monde.
Conclusion : Aimer L’Église de l’autre comme la sienne
La présence de l’Emmanuel, « là où deux ou trois sont réunis en son nom » (Mat 18,20) ou de l’Esprit saint – c’est un langage équivalent – donne la liberté de reconnaître, de discerner et d’accueillir les dons des autres tout comme celle de communiquer les dons de sa propre Église ou cellule d’Église. « Le Seigneur est l’Esprit. Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Cor 3,17). La liberté dans l’Esprit stimule une grande créativité, celle de l’amour qui me fait aimer l’Église de l’autre comme la mienne.
Un texte essentiel dans mon chemin œcuménique est celui où Paul appelle à discerner :« Ne méprisez pas les prophètes, n’éteignez pas l’Esprit examinez toutes choses et retenez ce qui est bon ». (1 Thess 5,21). Il invite ici non pas à avoir une attitude critique et jalouse vis à vis des autres, mais au discernement. Les dons que l’Esprit donne aux personnes et aux diverses Églises ne doivent pas être méprisés ni étouffés, ni imités, mais ils doivent être accueillis avec reconnaissance et examinés. L’action de l’Esprit est multiforme. A la suite de Culmann, je considère toute tentative de l’uniformiser au nom d’une normativité comme un « péché contre le Saint Esprit ».
J’aimerais conclure par cet épisode croustillant vécu lors de la dernière Montée de Jérusalem, un mouvement œcuménique de prière avec les chrétiens de Terre sainte. Mgr Jules Joseph Zerey, vicaire patriarcal de l’Église melkite à Jérusalem, a expliqué à des enfants ce que signifie l’échange des dons. Il a commencé par mimer les chrétiens suffisants, imbus d’eux-mêmes et propres justes pénétrés de leur orgueil communautaire, qui toisent les autres avec mépris ou condescendance pour finir par s’en détourner. Puis appelant les enfants il leur fait mimer le partage d’un beau et délicieux gâteau qui est distribué à plusieurs et leur dit : « Chaque Église a reçu de Dieu une part du bon gâteau tout au long des siècles avec des dons, des charismes et des ministères qui ne profiteront à tous que si chaque Église, responsables en tête, reconnaît que toutes ces parts viennent d’un même bon et beau gâteau et d’un seul et même donateur, Dieu notre Père à tous ».
Mémoire et actions de grâce
Ce texte exprime l’échange des dons. Il a été dit lors d’une célébration œcuménique à la Cathédrale de Lausanne, le 23 janvier 2000.
Devant Dieu, nous faisons mémoire avec reconnaissance pour l’Église réformée.
Dieu Vivant, merci pour l’Église réformée !
Malgré sa prétention parfois, dans le passé, à se croire l’unique Église locale (dans le canton de Vaud) et malgré sa tentation parfois à s’accommoder trop facilement en son sein d’interprétations excessivement rationnelles,
par ta grâce, et peut-être plus que dans toute autre Église,
tu as maintenu vivantes en elle une volonté d’étudier avec application la Bible et la préoccupation de respecter la liberté de conscience de chacun. Merci pour ces innombrables réformés qui, à travers les siècles et jusqu’à ce jour, t’ont célébré avec fidélité et servi leurs prochains avec générosité.
Devant Dieu, nous faisons mémoire avec reconnaissance pour l’Église catholique.
Dieu Vivant, merci pour l’Église catholique !
Malgré sa prétention parfois, dans le passé, à se croire l’unique Église universelle et malgré sa tentation parfois à être oppressive par sa hiérarchie,
par ta grâce, et peut-être plus que dans toute autre Église,
tu as maintenu vivantes en elle une exigence d’ouverture à tous et la volonté de garder et de trouver une unité visible pour ton Église.
Merci pour ces innombrables catholiques qui, à travers les siècles et jusqu’à ce jour, t’ont célébré avec fidélité et servi leurs prochains avec générosité.
Devant Dieu, nous faisons mémoire avec reconnaissance pour les Églises évangéliques et pentecôtistes.
Dieu Vivant, merci pour les Églises évangéliques et pentecôtistes !
Malgré leurs prétentions parfois, dans certains lieux, à refuser l’œcuménisme et malgré leurs tentations parfois à créer sans consultation des communautés nouvelles,
par ta grâce, et peut-être plus que dans toute autre Église,
tu as maintenu vivantes en elles une exigence d’obéissance radicale à ta Parole et une recherche de vie communautaire fervente. Merci pour ces innombrables évangéliques et pentecôtistes qui, depuis le siècle dernier et jusqu’à ce jour, t’ont célébré avec fidélité et servi leurs prochains avec générosité.
Devant Dieu, nous faisons mémoire avec reconnaissance pour les Églises orthodoxes.
Dieu Vivant, merci pour les Églises orthodoxes !
Malgré leur prétention parfois, dans certains pays, à se croire l’unique Église nationale et malgré leurs tentations parfois à refuser la modernité au nom de la tradition, par ta grâce, et peut-être plus que dans toute autre Église,
tu as maintenu vivantes en elles la beauté de la liturgie et le sens du mystère par leur célébration incessante de la Sainte Trinité et de la résurrection du Christ. Merci pour ces innombrables orthodoxes qui, à travers les siècles et jusqu’à ce jour, t’ont célébré avec fidélité et servi leurs prochains avec générosité.
Devant Dieu, nous faisons mémoire avec reconnaissance pour toutes les autres Églises chrétiennes.
Dieu Vivant, merci entre autres pour les Églises et communautés anglicanes, luthériennes, catholiques chrétiennes, adventistes, darbystes et pour toutes les communautés te célébrant en d’autres langues dans notre pays.
Malgré leurs prétentions parfois, dans le passé, à se croire chacune l’unique Église ou communauté fidèle et malgré la tentation parfois à se replier sur leur identité propre, par ta grâce, et en chacune d’elles, tu as maintenu vivantes des interpellations pour l’ensemble de l’Église vers plus de vérité, de fidélité et d’humilité. Merci pour ces innombrables chrétiens qui, à travers les siècles et jusqu’à ce jour, t’ont célébré avec fidélité et servi leurs prochains avec générosité.